mercredi 10 juin 2009

Le site des anciennes poëleries GODIN


(extrait du dossier de demande de classement - Guido Vanderhulst - mai 2009)

Le site des anciennes poêleries GODIN, quai des Usines, à Bruxelles,est à plusieurs titres, un patrimoine social et industriel, exceptionnel au plan régional, national et international.

La proposition de classement a été faite troi
s fois, en 1994, 2006 et 9.02.2009.

Le site de Laeken est étroitement lié à l'histoire d'un homme exceptionnel, aux courants de pensées socialisantes de l'époque, berceau du mouvement coopératif et autogestionnaire.
Jean-Baptiste GODIN est né en 1817 à Esquéhéries en Thiérache. Il va à l'école du village jusqu'à l'âge de 11 ans, devient apprenti chez son père, serrurier-forgeron. Il s'impatiente et veut voir du monde.

Par son cousin il va faire le compagnonnage et Il fera longuement écho de ce voyage, révolté qu'il est de l'injustice sociale, des bas salaires, de la durée du travail et surtout de la terrible "question du logement" à laquelle il se jure de travailler, si les moyens lui sont donnés.

Il entre en contact avec des fouriéristes et s'informe sur la mouvance "utopiste".
Plusieurs initiatives sont à l'époque, en cours de réalisation dont Robert OWEN à New Lanark (patrimoine mondial). Des capitaines d'entreprises construisent des complexes complets usines, logements, écoles, comme les Colonia catalanes, Crespi Data en Lombardie (patrimoine mondial)

Revenu à 20 ans, il se marie, met au point un procédé de fabrication de pôele en fonte qui ne se déforme pas comme ceux en fer et coute moins fer. Il a deux ouvriers en 1840, il a 23 ans. En 1846 il installe sa fonderie à Guise. En 1853

Nous avons en région bruxelloise le seul exemple en Belgique, d’une utopie quelque peu réussie, fondée sur « l’association coopérative du capital et du travail », expression d’une réflexion fondamentale et internationale sur l’implication des ouvriers dans l’économie capitaliste.


Cela s’inscrit dans un mouvement de pensée sans doute aussi ancien que les communautés humaines. Citons des acteurs importants de cette réflexion et qui ont parfois mis en pratique ces idées, avec plus ou moins de succès : Thomas MORE (1478-1535), François RABELAIS (1483-1553), Henri de SAINT-SIMON (1760-1825), Robert OWEN (1771-1858), Charles FOURIER (1772-1837), Victor CONSIDERANT (1808-1893), Etienne GOBET, les autogestionnaires….
Deux autres « patrons » sont connus en région bruxelloise pour avoir été sensibles au socialisme utopique : Philippe VANDER MAELEN en imprimerie et cartes, et PAUWELS en constructions métalliques. Ils sont contemporains, l’un plus paternaliste que l’autre. GODIN était « associationiste »
Nous sommes en plein démarrage de l’industrialisation en Europe. Enormément d'évènements sociaux et politiques s'accumulent à cette époque. Bruxelles est en 1886 la capitale de la Belgique, quatrième puissance économique mondiale, aussi par l'exploitation des ouvriers, il faut le dire. Cette ville est la plus industrialisée du pays en termes d’emplois ouvriers. Cette activité économique et surtout industrielle explique en partie l’étonnant bouillonnement social et politique qu’entretiendra la capitale.

L’ouverture du canal de Bruxelles-Charleroi en 1832 apporte le charbon indispensable aux machines à vapeur, aux trains et aux fonderies, et les terrains marécageux de la vallée de la Senne permettent l’acquisition de terrains à bon prix. Les octrois sont levés en 1860 : les barrières douanières intérieures tombent. Le canal de Willebroeck, ouvert en 1561, permettait déjà l’arrivée de matériaux d’autres pays et l’exportation des produits par la mer du Nord. Le premier train du continent quitte Bruxelles le 5 mai 1835. La Belgique aura le réseau ferré le plus dense au monde.

Jean-Baptiste GODIN est né en Thiérarche dans l’Aisne en France en 1817 d’un père déjà forgeron-serrurier. Il apprend son métier par le compagnonnage et découvre les conditions de travail des ouvriers du fer. Il met au point un système de poêle en fonte qui se révèle extrêmement performant. Il se met à lire tous ces auteurs utopistes.
En 1842, il crée une usine à Guise (département de l’Aisne) et rapidement applique ces théories en organisant cette entreprise qui comptera jusqu’à 2000 ouvriers.
En 1856 à Guise commence la construction du Palais Social entièrement dessiné par GODIN lui-même. C'est devenu un patrimoine français majeur, bénéficiant de tous les subventionnements y compris européens, tout en maintenant la production de poêles par une autre société. L'articulation de la mise en valeur du site de Laeken, avec la démarche fondatrice de JB GODIN à Guise est essentielle et le Syndicat mixte du Familistère de Guise, très actif, le souhaite.

C’est en 1853 que l’empire de NAPOLEON III contraint GODIN à préparer une alternative éventuelle : il réalise un accord de production avec une firme forestoise avant d’ouvrir en 1853, sa propre usine à Laeken.
Il fait acheter l'ancienne indiennerie STORY-DEWAEL , au bord de la Senne et du canal, pour disposer du charbon et du métal par bateau et bénéficier de la proximité d’un marché important en Belgique et à l’exportation. Le chemin de fer parcourt l’usine et la Senne forme sa limite.
JB GODIN mène donc les deux implantations en parallèle à Guise et à Bruxelles.
Bruxelles ne verra par contre la construction du Familistère qu’en 1887, alors qu’à Guise tout est construit. GODIN dessine tout, jusqu’aux des meubles de l’école.

Il meurt le 15 janvier 1888 ; selon ses vœux, son établissement industriel devint la copropriété du personnel. Son entreprise coopérative associant les travailleurs au devenir de l’industrie durera jusqu’en 1968. Elle aura connu bien des hauts et des bas suite à la concurrence d’autres énergies et suite à des erreurs de gestion, avant d’être reprise plusieurs fois et d’être aujourd’hui, à Guise, sous l’appellation Godin S.A., un des leaders dans la poêlerie.

Outre qu'il s'agit d'une démarche d'économie sociale réussie, ce site bruxellois est le modèle architectural et urbanistique d’une implantation industrielle véritablement en charnière entre la fin de la production de type artisanal et l’entrée dans les processus de production industrielle.
L'implantation de chaque bâtiment est datée. La "cathédrale" est l'ancienne indiennerie reprise en 1850 dans "la Belgique industrielle", il a été construit en 1829!

Ce bâtiment est sans aucun doute le dernier en région bruxelloise, entièrement réalisé en bois sur plusieurs niveaux, sa simplicité et son "classicisme" en font un témoin exceptionnel.
Il est antérieur à l'implantation GODIN et construit pour une indiennerie.

La plupart des hangars sont construits entre 1858 et 1888. La halle d'expédition est construite en 1915. TOUT est construits sur les plans de Godin ou applique ses méthodes. On retrouve ce type de construction à Guise.
L’usage des matériaux en bois, avec ses charpentes inspirées de la structure de la grange, avec semelles de fonte pour les poteaux, est particulière de cette expression technique. Les toitures à deux pentes sont à peine antérieures aux toitures sheds si typiques par la suite des grands ensembles industriels.
L’organisation du processus de fabrication par un réseau de rails au sol est résolument à l’avant-garde. Le sol d'origine en pavés, avec les rails, a été depuis peu d’années revêtu d’une couche de béton. Les doubles entraits du magasin d’expédition sont adaptés pour une portée peu habituelle. Le report de charge sur poteaux de bois en nombre dégressif par niveau dans le magasin aux modèles est exceptionnel… L’agencement des fonctions de l’usine entre acheminement des matériaux (charbon, métaux…), machine à vapeur, rapport à la rivière, au train, au canal, stockage et commercialisation des produits finis, la proximité du Familistère de logements, avec ses fonctions associées (crèche, jardin, école…) ne sont pas dus au hasard. Peu d'immeubles ont disparu, surtout ceux liés au Familistère, mais bien tous les équipements techniques (machine à vapeur, fours, wagonnets….).

L’analyse précise de la construction et du fonctionnement de l’usine, et un relevé détaillé doivent être réalisés. Le site de Guise ne présente plus cette filière de production parce qu'il a été adapté aux fabrications modernes. A Bruxelles c'est encore existant.
Le site GODIN est donc une expression privilégiée de la conjonction de courants philosophiques, économiques, sociaux, politiques, architecturaux et urbanistiques tout à fait uniques en Belgique et même en Europe.
C’est aussi
une des plus anciennes implantations industrielles en Région
Bruxelloise
(1858 !). C’est une implantation originale et exemplative pour l’époque d’une industrie de fabrication mécanique, laquelle a été si importante dans cette même région. Bruxelles a été, avec la région de Couvin et de Guise, l’un des trois foyers de production nord européens de la poêlerie. Citons aussi les usines Nestor-Martin, Reno, Fobrux, Surdiac …

Seul le Familistère a été classé, alors que l’usine construite dès 1858 en est indissociable.
Le Familistère sans l’usine perd beaucoup de son histoire et de son sens. Le Familistère avait été en partie converti en "hôtel d'entreprises" mais sans succès. Le chantier de rétablissement de logements de type sociaux va bientôt débuter, dans un respect très pointu du patrimoine.

De plus le site et les hangars occupent une centaine d'emplois, dans le secteur du recyclage de pièces automobiles et de pneumatiques, dans la production de panneaux d'affichages urbains, dans la vente d'articles de sports saisonniers.
Ce sont toutes des filières du recyclage qui devront s'amplifier dans un avenir rapproché. (matériel informatique, électroménager, d'éclairage…)
Autant soutenir cette évolution du site qui s'y prête remarquablement.



Il est flagrant que ce site manque aujourd'hui
de qualité et d'image.
Le bénéfice d'une reconnaissance en classement permettra de rendre à ce site une attractivité internationale digne de sa valeur patrimoniale.


La réouverture de la Senne, la plantation d'un front de quai, l'organisation d'un espace rappelant l'historique de ce site et de son fondateur, l'association avec le "Palais social" de Guise, autant d'atouts aujourd'hui inexploités.